samedi 18 juillet 2020

La naissance aux forceps d'une clinique privée lyonnaise




Il y a 50 ans la Clinique de la Sauvegarde ouvrait ses portes

Nous sommes en 1969. Je viens d’apporter à mes premiers clients mon concours, notamment, en leur trouvant les capitaux qui leur étaient nécessaires. Il s’agit d’une équipe de jeunes médecins, tous chefs de clinique, de la même année d’internat, qui viennent de construire une clinique, la Clinique des Minguettes à Vénissieux. Celle-ci est en France la première qui est conventionnée avec la Sécurité Sociale.

Je précise pour les lecteurs qui ne le sauraient pas, que les patients d’une telle clinique étaient aussi bien remboursés par la Sécurité Sociale des frais de leurs soins et de leur hospitalisation que s’ils étaient dans un Hôpital Public. Ce qui aujourd’hui est toujours vrai. Il s’agissait d’une petite révolution dans le monde de la santé passée relativement sous silence, comme souvent les révolutions pacifiques et constructives le sont dans notre pays.  J’ajoute qu’elle était conçue pour que les médecins puissent assurer leurs consultations sur place, ce qui n’était généralement pas le cas dans les cliniques privées d’alors, seulement agrées par la Sécurité Sociale.

Des médecins, tous rapatriés d’Algérie, s’adressent alors à moi pour que je les aide, à leur tour, à créer une clinique conventionnée qu’ils projettent de construire à Ecully, dans la banlieue lyonnaise, et surtout que je leur trouve les financements qui leur font défaut.
Leur leader est le docteur Georges GUELPA, chef de clinique, ancien assistant des Hôpitaux d’Algérie, la prestance d’un grand patron qu’il aurait pu être - il était agrégatif - si l’Algérie n’était pas devenue indépendante et la bonhomie de quelqu’un de simple et de facilement abordable. Il détient une autorisation ministérielle de 80 lits de chirurgie, médecine et obstétrique qui a été accordée à son maître, le docteur Pierre GOINARD, ancien Professeur de la Faculté d’Alger, devenu Professeur sans chaire aux Hospices Civils de Lyon que celui-ci lui avait transmise avec l’accord des Autorités.

Nous nous réunissons le soir au Pavillon A de Grange Blanche pour discuter de leur projet. Les échanges sont très animés et parfois bruyants. On se croirait dans une salle de classe turbulente avec des élèves qui chahutent leur professeur, en l’occurrence, le docteur GUELPA. Un jour, celui-ci se fâche contre l’un d’entre eux dont je tairais le nom et le menace de le mettre à la porte, s’il ne se calme pas. Il faut savoir que les assemblées houleuses sont habituelles chez les médecins ayant gardé un esprit potache et volontiers contestataire, - j’ai eu à leur faire face de très nombreuses fois- mais dans ce cas nous avons affaire en plus à des médecins pieds noirs. Sept ans, à peine, se sont écoulés depuis   la fin de la guerre d’Algérie avec la proclamation de l’indépendance et le départ précipité des européens dans des conditions souvent dramatiques.

J’en parle dans mon roman DJEMILA, la fiancée de Tlemcen* Des européens traumatisés qui ont souvent tout perdu et doivent trouver à s’installer en Métropole, dans des conditions difficiles car ils ne sont pas toujours bien reçus quand ils ne sont pas exploités. Les médecins eux-aussi, le sont, traumatisés, se considérant victimes d’une injustice, ce qui les rend nerveux et parfois un peu agressifs. Le docteur JARSAILLON, l’un d’entre eux, avait sa propre clinique en Algérie qu’il a dû abandonner. Mais trop âgé pour commencer à développer une clientèle privée en métropole, il aura heureusement l’opportunité de s’installer dans un hôpital public de Bourgogne.

Pour pouvoir exercer sa profession de chirurgien, gynécologue ou anesthésiste, il faut avoir accès à un bloc opératoire et disposer de lits pour ses patients.
Les médecins n’ont pas d’argent, leurs parents non plus. Je peux en témoigner parce que je me suis occupé personnellement de leurs dossiers, ce qui, soit dit en passant, tord le cou à la légende des européens qui auraient fait fortune en Algérie. En réunissant toutes leurs économies, ils obtiennent seulement 7% du montant du coût de la clinique, terrain, murs et équipements en matériel.  Il leur faudrait emprunter auprès des banques la somme vertigineuse de 93%. C’est impossible parce que la gestion de leur future clinique avec les prix de journée qui peuvent leur être accordés ne permettrait pas de rembourser une telle somme.

Le docteur GUELPA partage son cabinet de consultation en ville avec le docteur Philippe MOURET, ancien chef de clinique assistant des hôpitaux, interne médaille d’or. Chirurgien digestif comme lui et comme le Professeur GOINARD.

Le docteur MOURET est un chirurgien talentueux et une force de la nature - il va épuiser chaque jour dans la nouvelle clinique deux équipes successives au bloc opératoire-. Il est très curieux des nouvelles techniques, notamment de la coelioscopie. Il sera le premier au monde à pratiquer des opérations de la vésicule biliaire selon cette technique. Les médias de l’époque en auraient parlé s’il avait été parisien ! C’est grâce à des médecins comme lui que la médecine peut faire des bonds en avant. Il est passionné par son métier. J’ai connu de très nombreux chirurgiens, mais il a été le seul à me montrer sa boîte d’instruments avec émerveillement comme un enfant me ferait découvrir ses jouets préférés. Je suis stupéfait par la finesse des fils qu’il utilise pour les sutures avec lesquels il joue avec des doigts deux fois plus larges que les miens. Il ne craint pas de remettre en question ce que ses maîtres lui ont enseigné. Ainsi, s’il pratique au début de son installation, en moyenne, deux appendicectomies par jour, bientôt il n’en pratiquera plus que deux par semaine.     

Il décide de rejoindre l’équipe et il en prend la tête pour le montage de la clinique me prêtant ainsi main forte. Il faut non seulement trouver des capitaux, mais aussi étudier les plans de la future clinique avec un architecte et les investissements en matériel afin de calculer le budget d’investissement nécessaire. Nous nous réunissons très souvent, même dans les blocs opératoires comme celui de Feurs dans la Loire où il effectue des remplacements.  Je ne résiste pas au plaisir de raconter une anecdote. Comme ce dernier faisait remarquer à l’architecte qu’il y avait une erreur de cote dans ses plans, celui-ci lui avait rétorqué : « La différence entre nous deux, docteur, c’est que mes erreurs, je les élève tandis que vous, vous les enterrez. » Cette répartie nous avait fait beaucoup rire, tous les trois.

Le 24 Février 1969, il me dédicace sa thèse réalisée sous la direction du Professeur WERTHEIMER : Etude statistique de 2 107 cas de traumatismes crâniens ainsi : « A Monsieur Paul Mazenod, ce travail qui lui montrera que j’ai toujours pensé à une utile collaboration entre médecins et ingénieurs conseils, en témoignage de l’agrément de notre actuelle collaboration, très amicalement »   Je dois dire que l’agrément est réciproque. J’ai fait équipe avec de nombreux chirurgiens tout au long de ma carrière pour généralement construire leur clinique ou l’agrandir et j’ai apprécié leur collaboration dont je parle dans : Je vous ai bien aimé, docteurs *. Mais celle avec le docteur MOURET fut la plus intéressante, la plus féconde, marquée par une profonde entente entre nous deux et qui lui fit accepter sans hésiter de devenir mon associé.  C’était la première fois que je travaillais avec un médecin qui s’intéressât à la gestion d’entreprise et qui acceptât de m’instruire de son métier.  

Cela étant dit, l’étude du projet avance, mais le problème du financement reste entier et le Préfet s’impatiente. L’autorisation a déjà été prorogée une fois. Nous envisageons différents montages financiers, sachant que les médecins ont non seulement peu d’argent mais pas de garanties réelles à offrir aux banques. Finalement, le montage que nous retenons est original et je ne crois pas qu’il ait été dupliqué ailleurs en France. Il consiste à faire souscrire les parts de la société immobilière, future propriétaire du terrain et des constructions par des particuliers, clients du Crédit Lyonnais. Ces parts, les médecins s’engagent à les leur racheter à terme. Je dois préciser que les montages financiers de beaucoup de cliniques privées étaient beaucoup plus classiques mais parfois un peu éloignées de l’orthodoxie financière.

Je dois saluer ici le rôle déterminant de deux personnes dans ce montage, Monsieur REYMOND, un lyonnais installé à Paris, Président de la société de caution mutuelle, SOGAMED qui deviendra, comme Philippe MOURET, mon futur associé dans la société IFRHOS Institut Français de Réalisations Hospitalières que je créerais en Avril 1970.  Il me revient à l’esprit en écrivant ces lignes que nous voulions tous les trois couvrir la France de cliniques conventionnées ! Rien de moins.
La deuxième personne dont l’action est déterminante est le beau-père de Philippe MOURET, Monsieur VIGNAL, un industriel lyonnais, qui accepte de donner sa caution.  Je précise que les cautions des beaux parents n’étaient pas toujours acceptées par les banques parce que lorsqu’il s’agissait de les faire jouer, les beaux-parents devant le tribunal tentaient de se défausser, déclarant qu’ils ne pouvaient pas refuser à leur gendre leur signature car dans le cas contraire cela eût été un signe de défiance grave pouvant mettre en danger l’harmonie du couple. Mais cette fois, elle est heureusement acceptée et la banque n’aura pas à la faire jouer plus tard.  

A la fin de l’année 1968, le Préfet nous lance un ultimatum : Si les bulldozers ne sont pas sur le terrain avant Noël, l’autorisation est définitivement caduque.  Nous n’avons pas encore réuni les accords de tous les investisseurs, futurs propriétaires des parts de la SCI, mais le docteur MOURET prend le risque de signer l’ordre d’exécution des travaux. Nos souhaits de bonne année  ne seront jamais aussi sincères. Le montage sera heureusement bouclé en début d’année 1969.

Pour gérer la future clinique, il nous faut un directeur. Je lance un recrutement et le docteur MOURET et moi-même sélectionnons plusieurs candidats. Aucun d’entre eux n’a l’expérience de la gestion hospitalière, mais à cette époque nous ne trouvons pas sur le marché de candidats en ayant. Ce que nous recherchons, c’est quelqu’un qui ait réussi dans la gestion d’une entreprise.
Nous en présélectionnons deux. Un commerçant lyonnais, Erich MEGROZ et l’assistant de Jacques Tati dont j’ai oublié le nom. Le premier est en définitive choisi par ce qu’il présente l’avantage insigne d’être pied noir, lui aussi et qui plus est lyonnais. Ce qui est une très grande chance que je n’aurais pas quand le Président de l’Infirmerie Protestante de Lyon, Monsieur Raymond MORIN, deux ans plus tard me demandera de lui trouver un directeur protestant. Par ailleurs, Erich MEGROZ est un grand sportif, ancien champion de javelot en Algérie, ce qui séduit le docteur MOURET. Ils formeront ensuite tous les deux une excellente équipe à la tête de la clinique de la Sauvegarde.  

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