samedi 7 novembre 2020

Sachons garder notre sang froid en cette période agitée, même si cela peut être risqué.

 

La colère, la peur peuvent nous le faire perdre et ce que souhaitent nos adversaires.

Quand j’étais militaire en Algérie j’ai connu une situation dans laquelle mon sang froid a failli se retourner contre moi et dans une autre où je me suis trouvé désemparé par la perte de celui de mon chef de patrouille.

1/Nous sommes à TLEMCEN en 1962. Je suis de garde ce soir-là et je dois prendre à 9 heures ma faction en haut d’un des miradors qui dominent et surveillent le camp et ses alentours. A 9 heures moins quart, la patrouille de ville n’est pas rentrée.  Au poste de garde, les soldats présents ainsi que le chef et son adjoint commencent à être inquiets. A 9 heures moins cinq, le téléphone retentit, le chef décroche, blêmit subitement, et quelques secondes après, nous annonce que MAISONNEUVE, un membre de la patrouille a été attaqué par un homme pour lui voler son arme. Aussitôt l’inquiétude fait place à une explosion de colère. L'un des soldats connait très bien la victime, mécanicien comme lui dont il partage la chambrée. Tous crient vengeance, les exclamations fusent :

-Ces salauds de fellouze, il faut tous les descendre ! Si on demande des volontaires pour aller faire le nettoyage, j'en suis ! Qu'ils se tuent entre eux, mais qu'ils viennent pas nous emm… !

Si on leur donnait carte blanche, les voilà qui se jetteraient dans les rues, se déchaînant contre cette population dont un des membres a osé agresser un des leurs, tuant, massacrant tout algérien sur leur passage.

Le camp est mis en alerte et la garde immédiatement renforcée. Je suis seul, à conserver mon calme, ce qui ne m’empêche pas d’être très inquiet en voyant la réaction de mes camarades. Deux d’entre eux veulent alors se jeter sur les carabines. Instinctivement, je leur barre le chemin pour les empêcher d’accéder au râtelier des armes tout en leur disant :

- Vous êtes fous ! Vous ne savez même pas qui a attaqué MAISONNEUVE et vous voulez le venger en vous livrant à une ratonnade ! Ne tombez pas bêtement dans le piège tendu par les terroristes en alimentant le cycle de la violence et en justifiant la leur ! Et si c'était un pied noir qui a fait le coup ? Hein ? Qu'est-ce que vous en savez ? À qui profite le crime, si crime il y a ?

Et d’ajouter maladroitement :

- Cet attentat fera peut-être le bonheur de notre camarade s'il s'avère qu'il n’est que légèrement blessé, il bénéficiera d'un rapatriement sanitaire, sera affecté près de chez lui et y finira son service.

Mon discours douche les autres soldats et calme leurs instincts meurtriers, mais leur colère ne diminue pas pour autant et elle se retourne immédiatement contre moi. Ils m’entourent et leurs regards traduisent tout à la fois leur stupéfaction et leur désapprobation. L'un d'eux, sûrement le plus ancien, s'approche de moi, et sur un ton qui se veut le plus méprisant qui soit, me lance :

- De quoi te mêles-tu, bleu-bite ! T'as à peine débarqué que tu veux déjà donner   des leçons aux anciens ! Qu'est-ce que tu connais de l'Algérie ?

Je ne m’étais jamais senti insulté de cette manière… Je ne me retourne pas sous l’injure et quitte le poste pour prendre mon tour de garde.

2/Après un attentat commis en fin de soirée dans le centre de Tlemcen, nous avions dû procéder avec d’autres compagnies au bouclage de la ville pour empêcher leurs auteurs de s’enfuir. La nuit était tombée, nous étions en hiver. Les voitures que nous arrêtions qui allaient en direction de Béni-Saf s’agglutinaient. Les occupants, des européens en majorité, klaxonnaient à tout rompre et certains d’entre eux sortaient de leurs véhicules et venaient bavarder avec nous après que nous ayons contrôlé leur identité. Notre chef de patrouille, un caporal-chef assez récemment arrivé en Algérie était apeuré devant cette joyeuse pagaille. Il voulut y mettre fin et essaya d’élever la voix pour ordonner aux gens de regagner leur véhicule. En vain ! Heureusement pour nous tous, un ordre par radio du QG des opérations nous informa assez vite que le bouclage était levé.  

Si un véhicule avait essayé de forcer notre barrage, qu’aurait ordonné notre chef et lui aurais-je obéi ? Je me pose encore la question.

Les enseignements que je tire de ces expériences sont les suivantes.

 1/On ignore si on a du sang froid aussi longtemps que nous ne nous trouvons pas devant des situations périlleuses et inédites qui le nécessitent. Ce fut mon cas.

2/ La sélection des chefs qu’ils soient militaires ou civils devrait tenir compte davantage de leur capacité à savoir dominer leur peur et leurs émotions en général.  En parlant des civils, je pense à tous ces responsables politiques qui pendant la crise sanitaire l’ont honteusement perdu et dont j’ai parlé dans mon Blog du Vendredi 3 Juillet sur le florilège de leurs déclarations.

3/ Avoir du sang froid peut sauver des vies humaines, mais il peut être dangereux pour celui qui en fait preuve, comme ce fut le cas le Lieutenant-Colonel Arnaud BELTRAME qui, lui, en perdit la sienne.

 

 

 

 

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