Je commence aujourd’hui la publication d’extraits de
certains de mes ouvrages. Tout d’abord ceux de mon roman « Djemila, la fiancée de Tlemcen »*
Mon protagoniste principal, Jacques Neyrand**, après avoir fait ses classes à Avignon au 7ème Régiment du Génie est appelé en Algérie où il doit rejoindre à Tlemcen le 31ème Bataillon. Il embarque à Marseille après avoir passé quelques jours au camp Sainte Marthe où il est engagé pour participer à des différentes tâches, notamment des patrouilles en ville.
La traversée sur le Sidi Bel Abbès le 17 janvier 1962
Devant ces lamentations, cette touffeur animale qui le prenait à la gorge, cette odeur fétide que dégageaient quelques cinq cents haleines, le double de pieds déchaussés, les reliefs du repas de la veille et jusqu’au remugle de la calle elle-même, enfin le bruit sourd et lancinant des moteurs du bateau tout proche, il s’enfuit, évitant de piétiner au passage les corps qu’il devait enjamber et, au pas de course, grimpa l’escalier menant au pont avant.
A son arrivée, l’air glacial le souffleta violemment. Il remonta instinctivement le col de sa capote et noua autour de son cou le chèche*** que lui avait donné son frère à son retour d’Algérie. Puis il avança d’un pas décidé et rapide vers l’avant du bateau. Le pont était désert, il s’approcha du bastingage. La mer était calme, étrangement calme, seul un léger clapotis répondait au sifflement de la bise. Les aiguilles fluorescentes de sa montre marquaient 7 heures 25, le jour allait bientôt se lever. Il s’assit sur un rouleau de cordage et attendit patiemment l’évènement.
L'horizon à bâbord imperceptiblement s'éclaira. Jacques abandonna son rouleau de cordage et se rapprocha de la proue du navire. Le jour se levait et avec lui l'espérance des hommes. L'horizon rougeoyait maintenant et commençait à illuminer le ciel. Sans même se retourner, il sut qu'il n'était plus seul. En silence, d'autres soldats avaient surgi de la cale et s'approchaient de lui, le bruit de leurs pas étouffé par le chuintement des flots contre la coque. C'est alors que de la mer émergea lentement et avec majesté une boule de feu incandescent dont les premiers éclats vinrent réchauffer les cœurs des passagers, puis leurs corps. L'instant était solennel. Jacques ne put s’empêcher de penser au directeur de ce théâtre dont le rideau rouge se levait et de s'adresser à lui.
-Mon Dieu, protégez-moi !
Il avait bien longtemps qu'il ne lui était pas arrivé de prier. Mais n'avait-il jamais prié ? Enfant obéissant et discipliné, il avait récité avec application et parfois avec zèle des Notre Père, des Je Vous Salue Marie, chanté des Gloria et même servi la messe avec empressement. L'odeur de l'encens, le goût du vin blanc sucré, un « Entre Deux mers », les hosties qui se collaient au palais quand on voulait les manger comme des langues de chat lui revenaient en mémoire: souvenirs émouvants, comme ceux de sa communion solennelle avec son beau costume noir et son brassard blanc dont il était si fier. Il ne s'était jamais adressé à Dieu parce qu'il n'avait pas eu de faveur à lui demander qui méritât à ses yeux une telle sollicitation.
-Mon Dieu, protégez-moi! Je vous le demande pour ceux qui ont besoin de moi.
Il vit les gendarmes frapper à la porte de ses parents, l’air sombre et gêné, sa mère qui était cardiaque, à leur vue, tombant en syncope, son père sans voix, comme paralysé par une décharge électrique…
-Non, c’est impossible, l’avenir m’appartient, cet avenir qui commence maintenant avec le jour qui se lève-. Son optimisme naturel lui fit chasser de son esprit cette sombre pensée imposée par son imagination. Une imagination qui ne lui demandait jamais la permission de se manifester, même de manière intempestive. Les côtes espagnoles au loin, à tribord, lui rappelèrent sa lecture de la veille qui l’avait aidé à s’endormir et ses aventures à Séville en compagnie du capitaine de Saint Clar, officier de l’armée napoléonienne. Il eut comme le pressentiment qu’il allait connaître une existence passionnante.
Prochain extrait : Le premier tour de garde de nuit et l’attentat
* Les éditions Ifrhos@orange.fr
** J’avais choisi ce nom tout à fait par hasard et beaucoup plus tard, dans mes recherches généalogiques, j’ai découvert que les Neyrand de Saint-Chamond étaient apparentés aux Thiollière, lesquels l’étaient aux Mazenod.
***Le chèche : Echarpe initialement utilisé par les hommes du désert pour se protéger la tête de l'agression du soleil.
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