mardi 6 mai 2025

Mon premier voyage à l'étranger. Il dottore Mazenod

 “ Dottore, prego, s’accomode ! “  Chaque matin en arrivant dans les bureaux de l’Allianza Assicurazione, je suis accueilli par l’huissier de service qui m’ouvre la porte de l’ascenseur. Quand on me présente à quelqu’un, on ajoute à Dottore “laureando “ du gérondif de « laureare » qui signifie diplômer. En effet, je suis en train de préparer mon diplôme pour obtenir l’équivalent de celui de « dottore in  Economia e Commercio » italien. Contrairement à nous autres français, nos amis transalpins mettent parfois devant le nom d’une personne ses qualités professionnelles. Si j’avais fait une école d’ingénieurs, ils m’auraient appelé Ingegnere Mazenod et des études de comptabilité, Ragionere Mazenod. Cela étant dit, être appelé à 21 ans, docteur, est fort agréable et je ne voie pas qui n’y serait pas sensible. J’ajoute que ce fut une surprise qui venait s’ajouter à une autre, voire la parfaire:  Quand je suis arrivé à Milan et durant tout mon séjour, on ne m’a pas demandé une seule fois d’où je venais, ce que faisait mon père, qui je fréquentais.

L’ascenseur me conduit directement au dernier étage où se trouve le bureau du Président qui me reçoit avec un plaisir non dissimulé et avec qui j’échange sur de nombreux sujets, notamment sur l’économie et sur l’histoire de France ; il est un grand admirateur de Napoléon Bonaparte. Je ne cesse d’être surpris, cette fois  par la modernité de Milan, plus américaine que des villes françaises, et la qualité des gens qui y travaillent et que je côtoie. Je suis arrivé en Italie, comme beaucoup de français avec un préjugé défavorable, sur ses habitants. Ayant connu des immigrés et enfants d’immigrés chez nous, plâtriers peintres ou maçons, je ne m’imaginais pas un instant que ceux restés au pays fussent différents, surtout ceux habitant le Nord du pays.

Démarchage original des clients

Tous les après-midis de la semaine, j’accompagnais un agent de la Compagnie d’Assurances de l’agence de Milan démarcher de nouveaux clients. Nous étions reçus généralement par l’épouse, le mari étant à son travail.  Pendant que l’agent remplissait soigneusement  son questionnaire, je bavardais avec notre hôte en lui parlant de mon pays et des français réputés pour leur liberté de mœurs. L’une d’elle m’avait même posé la question suivante :“ Est-il vrai qu’on fait l’amour dans les rues à Paris ?“

Assez souvent notre hôte signait le contrat, mais quand le mari, un jour qu’il était à la maison, découvrait son existence, il était parfois résilié. Ainsi la Compagnie avait une forte production de nouveaux contrats comparée à une Compagnie française, mais aussi une forte proportion de résiliations. Cela étant dit, le métier d’agent d’assurance transalpin était plus agréable à exercer que celui de son confrère français qui devait sacrifier ses soirées pour aller démarcher les nouveaux clients, ce qu’il m’est arrivé de faire en compagnie d’un agent de la Populaire.    

Une proposition inattendue et alléchante

Un soir, je suis invité par un dirigeant de la Compagnie et son épouse à une soirée dansante au Club  de L’Idroscalo de Milan . L’Idroscalo est un plan d'eau artificiel d’où Mussolini faisait partir ses hydravions pendant la guerre. Je suis présenté à un de leurs amis, un courtier en assurances qui gère le plus important cabinet de la ville. Il est séparé de son épouse – le divorce n’est pas alors autorisé  en Italie – il n’a pas d’enfants et il cherche  un successeur. Le dirigeant de la Compagnie lui ayant dit que j’étais « in gamba », capable en français,  il me propose donc de le devenir aussitôt, mon diplôme en poche. C’est pour moi une offre difficile à refuser, cependant, il y a un obstacle majeur. Je dois faire mon service militaire qui à l’époque dure 28 mois, mais il balaie d’une main l’argument en me disant : “vous n’avez qu’à vous faire réformer, je paierais ce qu’il faut “.  En Italie, il existait alors un réseau organisé de médecins et cela coûtait 700 000 lires aux candidats. Même si un tel réseau avait existé chez nous, je n’aurais pas accepté d’être dispensé de  mes obligations militaires, surtout que la guerre d’Algérie, qu’on appelait pudiquement maintien de l’ordre, n’était pas terminée. Sinon, je n’aurais pas osé affronter mon père de peur de perdre son respect, lui qui m’avait un jour rapporté que les hommes réformés étaient appelés autrefois des « couilles en bois ». Lui qui avait été très heureux de me faire intégrer l’armée du Génie, à laquelle il avait appartenu durant son service militaire, grâce à son adhésion à l’Amicale des Anciens. Je suis donc parti en Algérie après mes classes plutôt que de m’installer à Milan et je ne regrette pas du tout mon séjour en Afrique du Nord dont j’ai tiré à mon retour un roman « Djemila, la fiancée de Tlemcen ».*que de nombreux lecteurs, la plupart anciens d’Algérie, ont su apprécier.

A suivre dans un prochain Blog La casa dello studente et la dolce vita.

·       Aux éditions Ifrhos : www.editionsifrhos.com

 

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