Le Professeur Alain Sisteron,
chirurgien cardio-vasculaire à l’Infirmerie Protestante de Lyon où je suis
intervenu durant de nombreuses années
souhaitait construire une clinique sur l’Ile Saint-Martin, lui
permettant de défiscaliser en partie ses revenus qui étaient élevés. Comme tous
ceux qui gagnent beaucoup d’argent, il avait la phobie de l’impôt. Il me charge
alors d’étudier sur place la possibilité de réaliser une clinique privée
française dans les Caraïbes.
Après avoir fait un détour par la Martinique pour
rencontrer le fils du docteur Roques,
patron de la clinique Saint-Jean à Agen, lui-même chirurgien vasculaire au
Centre Hospitalier de Fort de France et son épouse venue faire stage à l’IFRHOS
durant une dizaine de jours, je
rencontre les médecins de l'Ile Saint-Martin et un certain nombre de
responsables économiques. J'interviewe par téléphone ceux de l'Ile Sainte
Barthélemy en raison du mauvais temps qui m'empêche de m'y rendre (Je l'ai
regretté car je devais faire la traversée en trimaran). Je rencontre les
autorités administratives de la Guadeloupe, à Basse-Terre dont dépendait 1'Ile
Saint-Martin, alors que l'activité de la ville est paralysée par une grève
générale et je découvre avec surprise et tristesse l'animosité de ses habitants
à l'encontre des français de métropole. Je prospecte même des terrains sur
lesquels la clinique pourrait être construite. Cette animosité, je l’ai moins
ressentie à Saint-Martin, mais il m’est arrivé de rencontrer des passants dans
la rue qui ne me répondaient que si je leur parlais en anglais.
La directrice d’une agence immobilière auprès de qui
je me suis renseigné sur les terrains disponibles me dit qu’elle me fera cadeau
de sa commission, tant elle tient à ce que je construise cette clinique, elle
m'avoue qu'elle a toujours, comme beaucoup d’habitants de l’île, des billets de
banque placés dans un sac à provisions, pour prendre le premier avion, si elle
est malade, pour se faire soigner, soit
à Fort de France, soit à Miami en Floride. Le projet de construction d'une
clinique est donc hautement souhaitable d'autant plus qu'il y a un challenge
enthousiasmant à relever. Nous pourrions recevoir dans cette clinique des
malades américains car les coûts d'hospitalisation aux Etats-Unis sont
nettement plus élevés que les nôtres et la Floride n'est qu'à une heure d’
avion de l'Ile de Saint-Martin. D'ailleurs, depuis cette époque, c'est
Cuba qui a su accueillir des malades étrangers. Mais il y avait hélas un
problème majeur que j'ignorais. Mon chirurgien était persuadé que les
investissements dans les cliniques étaient déductibles fiscalement des revenus
et qu'ils ne coûteraient donc rien ou presque. Hélas, si la construction d'un
hôtel bénéficiait effectivement d'importants avantages fiscaux dont certains
investisseurs avaient d'ailleurs abusé (je m'étais rendu dans un magnifique hôtel
édifié sur l'anse Marcel, pratiquement vide de clients, financé par une Mutuelle
française dont les dirigeants devaient quelques années plus tard défrayeront la
chronique), ce n'était pas le cas d'une clinique. Mon client n'était plus
intéressé par le projet et il avait ainsi dépensé inutilement l'argent, mes
honoraires et mes frais de voyage qui, heureusement pour lui ... étaient
déductibles de ses revenus. Je lui avais proposé de rechercher des
investisseurs pour l'aider à réaliser cette clinique séduisante à bien des
égards mais, il avait décliné mon offre. Seule l'intéressait la perspective de
payer moins d'impôts. Son attitude m'avait déçu, venant de la part d'une
personne pour laquelle j'avais beaucoup d'estime et de considération. Elle me
rappelait celle d'un restaurateur que j'avais rencontré à sa demande quand
j'étais un jeune banquier. Il envisageait de créer des chambres d'hôtel
au-dessus de son établissement. Je ne m'étais pas seulement contenté de faire
une étude financière mais j'avais également examiné avec soin les besoins
auxquels il entendait répondre, lui-même ne m'ayant fourni aucune donnée
chiffrée. Je lui avais, en quelque sorte bâti, comme on dit aujourd'hui, un
business plan sur lequel j'étais prêt, à lui prêter l'argent nécessaire à la
réalisation de son projet. Mais quelle n’avait pas été ma surprise quand il m’avait
annoncé qu'il était d'accord pour investir et emprunter à la condition qu'il ne
paie pas plus d'impôts.
Cependant à l’heure où j’écris ces lignes je me
demande si le professeur Sisteron qui décèdera prématurément n’avait pas voulu
accéder à ma demande de poursuivre le projet parce qu’il avait appris qu’il
était gravement malade et que ses jours étaient comptés.
Quand je suis arrivé sur l’Ile
Saint Martin, un laboratoire d’analyses médicales venait juste de s’installer
et l’unique cabinet de radiologie ne fonctionnait seulement que depuis quelques
années. Le meilleur médecin en exercice était le plus âgé. Cet autochtone avait
appris à effectuer un examen clinique sans le secours de l’imagerie médicale et
des analyses biologiques comme ses jeunes confrères venus de Métropole, pour
certains, faire fortune. Un d’entre eux avait paraît-il découvert un remède
miracle contre le sida et m’avait demandé un rendez-vous à mon hôtel pour m’en
parler en espérant que je l’aide à le développer.
Le dimanche, mon épouse et moi
avons fait un peu de tourisme en louant une voiture japonaise à boîte
automatique, c’était la première fois que j’en conduisais une. Nous avons bien
entendu fait le tour de l’île et nous nous sommes arrêtés à l’anse Marcel dont
j’ai parlé et profité de sa plage de sable fin telle qu’on la voit dans les
décors idylliques des prospectus publicitaires. Puis nous avons quitté le Marigot,
pour nous rendre dans la partie hollandaise de l’île. Nous avons visité le
Casino où dans la salle des bandits manchots jouaient des femmes dont l’une
avait son sac à provision où elle avait
mis ses jetons, posé à côté de l’ appareil, puis nous avons assisté à la messe où nous l’avons retrouvée toujours
avec son sac à provisions. A un moment de la cérémonie, les chœurs se sont
élevés dans l’église et tous les participants, en grande majorité noirs, se
sont donné la main et nos voisins ont pris naturellement la nôtre. Moment
émouvant qui reste un très beau souvenir de mon voyage aux Caraïbes.