Nous
sommes mardi. Nous nous sommes couchés tôt après avoir dîné avec les
religieuses et regardé la campagne électorale à la télévision. Dimanche
prochain a lieu l’élection présidentielle à laquelle se représente le Président
actuel qui sera sûrement réélu. Seuls deux autres candidats se présentent, un
écologiste et un farfelu qui veut débaptiser le Burkina Faso pour l’appeler à
nouveau la Haute Volta.
Après
une nuit agitée sous nos moustiquaires, la chaleur nous empêchait de dormir, et
après avoir pris une douche, non sans avoir oublié d’inspecter les lieux pour
voir s’il n’y avait pas d’intrus, comme des scorpions par exemple ou tout
simplement une grenouille, comme celle qu’avait trouvée Annick dans les WC de
la Kompienga, nous sortons de notre chambre devant laquelle nous attendons
Gisèle et allons prendre enfin notre petit-déjeuner, il est 7 heures du matin à
peine.
Autour
de la table se trouvent d’autres voyageurs avec lesquels nous faisons
connaissance. Deux d’entre eux sont des paysans de l’Ardèche qui viennent deux
fois par an pour aider les jeunes agriculteurs de la région en leur octroyant
des prêts pour acheter du bétail et des machines. Je prends leurs coordonnées.
Ils m’apprennent que les paysans de la Loire font la même chose au Sénégal.
Après
cet agréable petit-déjeuner pris dans une ambiance très conviviale, nous
prenons congé des religieuses et du Père Thomas qui nous a prêté un appareil à
photos, le nôtre étant tombé malencontreusement en panne.
Accompagnés
par Gisèle et Sœur Andrée Marie, nous prenons la piste en direction de Yaba où
habitent les parents de Gisèle.
A
cette heure, il fait encore frais. La sœur s’est assise devant à côté du
chauffeur et Gisèle s’est placée entre Annick et moi. La route est par endroit
défoncée mais notre chauffeur slalome très bien entre les écueils. Le paysage
est splendide, tantôt la sœur, tantôt Gisèle nous indiquent le nom des arbres
et arbustes que nous découvrons. Je fais arrêter la voiture un instant pour
ramasser des feuilles sèches d’eucalyptus. Les ayant écrasées dans mes mains,
j’explique que mon frère et moi fumions des feuilles d’eucalyptus que nous
achetions chez ma tante qui tenait à Saint-Etienne une droguerie parfumerie.
Nous
nous arrêtons dans le village de Toma, situé à 10 kilomètres environ de Yaba où
est installée la Congrégation de Sœur Andrée Marie et où cette dernière a fait
son noviciat. Nous rencontrons des religieuses, certaines très jeunes,
auxquelles nous ne sommes pas habitués en France, un Père fort sympathique et
visitons l’église.
Le
route de Toma à Yaba est très agréable et j’ai regretté ensuite de ne pas
l’avoir parcourue à pied.
L’habitation
de la famille KY est composée de plusieurs huttes, l’une pour les parents, une
autre pour les enfants et une troisième dont je ne connais pas exactement
l’usage mais où nous sommes reçus, d’un grenier à mil et d’un poulailler sur
lequel se trouve le foyer.
Elle
se situe près de l’habitation de la famille de la sœur et d’une autre
habitation où vivent d’autres cousins, l’ensemble forme un hameau où vivent les
KY.
A
notre arrivée, le chauffeur a garé le 4 x 4 à l’ombre d’un arbre et nous sommes
accueillis, à l’extérieur de l’habitation, près du puits par la mère de Gisèle
qui court se jeter dans les bras de la Sœur. Elle est aveugle. Elle n’a plus
que deux dents, deux canines impressionnantes qui reposent sur la lèvre
inférieure comme les phoques. Elle est pieds nus. Elle sert la main de sa fille
et les nôtres.
Nous
la suivons à l’intérieur d’une hutte dont j’ai déjà parlé où se trouvent trois
ou quatre chaises sur lesquelles on nous fait asseoir.
Toute
la famille vient nous saluer en prononçant des paroles de bienvenue en dialecte
Samo, même ceux qui nous ont déjà salués à l’extérieur, comme la mère.
Nous
faisons connaissance du père, un homme grand et mince à la barbe blanche,
édenté, sourd et muet. Plus tard, quand je reverrai la Sœur avant notre retour
pour la France, je lui demanderai qui a commis un tel crime de marier une
aveugle et un sourd-muet dont le seul moyen de communication est le toucher.
Nous
nous installons ensuite dehors, à l’ombre d’un dais de tiges de mil.
On
nous sert le dobo, alcool de mil, contenu dans un bidon d’essence en plastique
et qui nous est versé dans des calebasses. Le liquide est chaud, nous y
trempons les lèvres, après discrètement nous le renversons. Il fait maintenant
très chaud et je commence à souffrir.
Nous
avons heureusement évité l’eau du voyageur qui est très dangereuse parce que
pas traitée. La Sœur ayant apporté des bouteilles d’eau minérale et ayant
sûrement expliqué à nos hôtes que nous avions les intestins fragiles, ce qui
est tout à fait vrai en ce qui me concerne.
Nous
déjeunons, à l’écart dans un local situé dans l’habitation des parents de la
Sœur, cette dernière, Gisèle, Annick et moi. Nos hôtes, selon la tradition,
mangent les restes avec leurs mains une fois que nous avons fini.
Une
fois le repas terminé, nous nous installons sous le dais et tous les membres de
la famille, les uns après les autres, revêtus de leur plus belle tenue,
viennent nous rejoindre avec leurs cadeaux : une chèvre attachée au bout
d’une corde. Nous prenons des photos. Nous refusons bêtement les cadeaux,
prétextant que nous ne pourrons pas les emmener dans l’avion. Un cadeau ne se
refuse pas en Afrique, mais personne ne nous l’avait dit. Sur l’insistance de
la Sœur, nous prenons tout de même un coq qu’elle est allée chercher et que
nous donnerons à sa cousine de Ouagadougou, Joséphine. Nous aurions dû faire de
même pour la chèvre ! Trop tard.
A
15 heures environ, nous nous séparons en laissant Gisèle avec ses parents. Elle
nous retrouvera le lendemain en prenant une « occasion ».Nous
rentrons à Ouagadougou en passant par Yako, la ville où l’on extrait de l’or.
La piste jusqu’à Yako est particulièrement défoncée, la Sœur qui nous
accompagne s’est assise à côté du chauffeur, Annick et moi sommes
particulièrement secoués sur la banquette arrière. Après Yako, la route est
bitumée et le chauffeur ne doit plus se faufiler entre les « barrières de
pluie » comme il les appelle, mais entre les innombrables personnes que
nous doublons ou croisons, à pied, en vélo, à motocyclette, sur un âne, dans
une voiture tirée par un âne. L’entrée et la traversée de Ouaga est
impressionnante. Il est 18 heures et c’est le moment de la sortie des bureaux
et des ateliers. Une foule ahurissante a envahi la chaussée et notre chauffeur
se fraye un chemin.
Nous
arrivons à l’hôtel Sofitel, nous avons décidé pour les deux dernières nuits,
d’être dans le même hôtel que nos amis Renard, pour des raisons de commodités
de transport. La clinique étant à côté de l’hôtel. Il est tellement plus
luxueux que celui de l’Indépendance, la chambre est très confortable. Après
avoir pris un bain rafraichissant à la piscine, nous nous faisons monter un
repas dans notre chambre. Le contraste entre le luxe de notre installation,
nous dégustons notre repas, assis dans notre lit en regardant un film à la
télévision (La soupe aux herbes sauvages, tiré d’un roman que j’ai lu et écrit
par une institutrice, contemporaine de ma mère) et la visite d’une famille de
la brousse africaine d’un pays les plus pauvres de la planète restera sans
aucun doute, un des souvenirs les plus forts de ma vie.
Le
lendemain, avant-dernier jour avant notre départ, nous sommes invités par la
cousine de la Sœur, Joséphine et son mari, Jean de Dieu qui habitent Ouaga, au
rez-de-chaussée d’une petite maison dans le centre-ville. Joséphine est
secrétaire dans une fabrique de cigarettes appartenant au groupe français
Bolloré, elle est actuellement en arrêt de travail car elle vient d’avoir un
troisième enfant. Elle emmènera ses deux autres enfants sur sa motocyclette.
Son mari est directeur commercial d’une imprimerie et par ailleurs, il vient
d’ouvrir un restaurant que nous visitons, ce que nous appelons chez nous un
café. Ils se sont connus à l’école. Lui est un Mossi, alors qu’elle, née à Yaba
est une Samo. Les maisonnettes qui jouxtent la leur sont habitées par les
parents de Jean de Dieu, originaires du même village. Ce dernier nous
transporte dans sa voiture, une R5 un peu ancienne. Nous déjeunons ensemble et
Jean de Dieu nous filme grâce à son caméscope. Nous emmenons la cassette que
nous allons finir d’enregistrer à notre réunion de famille, et que nous
dupliquerons pour la leur renvoyer. Jean-Marie, notre fils a ramené de l’hôtel
La Charpinière le caméscope.
Le
lendemain, nous faisons des courses dans le marché impressionnant de Ouaga pour
ramener des souvenirs, et le soir à l’aéroport nous nous retrouvons assis côte
à côte avec nos amis les Ouadreago et les Kabore, accompagnés de la Sœur Andrée
Marie, qui grâce à nous font connaissance.
Nous
espérons bien les revoir. Dans l’avion d’Air France, tandis qu’à peine assis,
Annick s’endort jusqu’à Roissy, il est 11 heures du soir, je retrouve la
France, le Figaro, la cuisine française et les programmes télé.